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L’impact environnemental du numérique en formation

A l’heure des IA génératives, la digitalisation prend de plus en plus d’ampleur, dans nos vies comme dans la formation. Le numérique a permis des avancées incroyables, mais il est également très polluant. Les questions environnementales sont au cœur des préoccupations de Newton Agence. Nous avons donc cherché à évaluer l’impact environnemental du numérique en formation.

On estime que le numérique est actuellement responsable de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Cela représente plus d’émissions que l’aviation civile ! Et au rythme actuel, ce chiffre pourrait doubler d’ici 2025. 

Dans cet article, nous avons voulu analyser l’empreinte carbone d’un dispositif de formation, de sa conception à sa diffusion. L’idée n’est pas de fournir des chiffres précis et exhaustifs, l’impact environnemental d’une pratique étant multifactoriel et très difficile à calculer, mais de mettre en perspective les émissions générées par nos différents usages numériques. Et parfois, les postes les plus consommateurs ne sont pas ceux que l’on croit. 

L’email : responsable de notre impact environnemental ?

Vous venez de commencer la conception d’un dispositif de formation pour un client. Celui-ci vient d’ailleurs de vous envoyer tout le contenu à traiter par email.  

L’email est devenu un moyen de communication incontournable. Il est aussi souvent récriminé pour son impact environnemental. Mais est-il si consommateur ? Calculer les émissions de CO2 qu’il génère n’est pas facile. Il faut pour cela prendre en compte son poids, le nombre de destinataires, les infrastructures qui permettent de le faire circuler et de le stocker, mais aussi le terminal sur lequel il a été créé et le type de connexion utilisé pour l’envoyer.  

Un email envoyé par 4G sera ainsi plus consommateur que le même message envoyé par wifi. Et un email envoyé depuis un petit terminal (comme un smartphone) sera moins gourmand qu’un email envoyé depuis un ordinateur fixe.  

Raphaël Lemaire, directeur technique de Zenika, une société accompagnant les entreprises dans leur transformation numérique, a comparé les émissions de CO2 d’usages et objets du quotidien. 

Source : Raphaël Lemaire

Envoyer un email avec une pièce jointe de 1 Mo est ainsi moins consommateur que de fumer une cigarette ou encore de manger une pomme. Mais si l’impact unitaire d’un email est minime, ce sont 10 à 12 milliards de mails qui sont échangés toutes les heures dans le monde (Source : ADEME). 

Le stockage des données : un ménage de printemps s’impose

Vous avez terminé votre document de travail et souhaitez maintenant le partager avec votre client. Celui-ci va vous faire ses retours, que vous intégrerez dans une nouvelle version du document. 

Plutôt que d’échanger les documents par email, il est préférable de passer par un serveur physique local. D’autant que les données stockées en France ont un impact environnemental bien moindre que celles stockées en Europe (presque 8 fois moins) ou en Chine par exemple (environ 20 fois moins). Cela est dû à la production électrique « décarbonée » en France, issue du nucléaire plutôt que de centrales à charbon (Source : The Shift Project). 

Lorsqu’avoir un serveur local n’est pas une possibilité, des solutions collaboratives telles que Teams ou SharePoint sont une bonne alternative. Il convient cependant de mettre certaines bonnes pratiques en place pour limiter leur consommation : 

  • Réduire au minimum le nombre de documents/versions  
  • Supprimer régulièrement les versions inutiles 
  • Désactiver la synchronisation automatique 

La vidéo, un format très gourmand en énergie

Le client est satisfait de votre travail. Vous le remerciez par message sur Teams, car vous voulez limiter les emails, tout en écoutant votre chanson préférée sur YouTube.  

Sauf qu’un message simple envoyé sur Teams pèse en moyenne quasiment autant qu’un mail simple envoyé dans Outlook : entre 5 et 25 Ko. Et dans cette situation, ce n’est pas le message que vous envoyez à votre client qui a l’impact environnemental le plus fort, mais bien la vidéo que vous écoutez sans même la regarder (que la personne qui ne l’a jamais fait vous jette la pierre). 

Raphaël Lemaire a comparé les émissions de gaz à effet de serre générées par différentes pratiques numériques. 

Source : Raphaël Lemaire

Ce diagramme montre bien que la vidéo, du fait de son poids, est très gourmande en énergie. Elle représente pourtant 60 % des usages du numérique. 

Ce format sympathique est aussi fréquemment utilisé en formation : que ce soit pour apporter du contenu comme dans les MOOC, pour former les apprenants par visio-conférence, ou encore sous forme de teaser, pour promouvoir les dispositifs de formation. 

Alors faut-il bannir la vidéo de nos formations ? Pas nécessairement. Si elle rend un réel service, elle aura sa place. Quelques bonnes pratiques permettent de réduire l’impact d’une vidéo postée en ligne : 

  • Adapter son poids à son format d’affichage (pas besoin de 4K pour un e-learning) 
  • Ne pas y inclure de contenu qui devra rapidement être mis à jour 
  • Ne pas la lancer automatiquement 

Et lorsque l’on choisit d’utiliser un format vidéo, il est important d’y intégrer systématiquement des sous-titres, afin qu’elle soit accessible à tous. 

Pour ce qui est des visioconférences, mêmes si elles sont consommatrices en énergie, elles permettent souvent de réduire l’impact des formations en permettant aux apprenants de ne pas avoir à se déplacer. À titre d’exemple, 1 heure de visioconférence émet 8 g de CO2, alors qu’1 km parcouru en TGV en émet 2 g (Source : ADEME). 1 heure de visioconférence génère ainsi moins de gaz à effet de serre qu’un trajet d’1 heure pour assister à une réunion en personne.  

A l’inverse, 1 heure de visioconférence entre 3 personnes qui travaillent dans la même ville aura un impact environnemental plus important qu’une réunion en personne. La solution type pour une formation la plus verte possible n’existe donc pas. Créer le dispositif le plus sobre nécessite de faire du sur-mesure, en prenant en compte les besoins et contraintes spécifiques de chaque client. 

Faut-il surfer sur les nouvelles technologies en formation ?

Au fil des années, de nouvelles technologies ont ouvert le champ des possibles en formation : par exemple, la réalité virtuelle, le métavers, et aujourd’hui les intelligences artificielles (IA) génératives. Est-il possible de concevoir des dispositifs de formation sobres tout en surfant sur ces technologies ?  

Prenons l’exemple des IA génératives comme ChatGPT. Une requête sur ChatGPT émet en moyenne 285 g de CO2, l’équivalent de 2 km en voiture, contre 7 g pour une requête sur Google. Mais l’impact des IA génératives ne se limite pas à leur utilisation. L’entrainement de ces outils, parce qu’il nécessite d’utiliser un nombre gigantesque de données, est très énergivore. D’après une étude de Stanford AI, l’entrainement de GPT-3 a rejeté 502 tonnes d’émissions carbone, l’équivalent de la consommation moyenne d’un foyer américain pendant des centaines d’années. 

Ces chiffres, déjà impressionnants, le sont encore plus lorsque l’on considère que les recherches dans ce domaine ne sont pas près de s’arrêter, dans un contexte de course à l’IA. Avant de confier une tâche à une IA générative, on peut alors se demander : l’IA va-t-elle apporter une réelle valeur ajoutée par rapport au travail d’un concepteur ou d’un graphiste ? Et le temps de rédiger un prompt efficace, de vérifier la pertinence du contenu généré puis de l’adapter à nos besoins, aura-t-on réellement gagné du temps à utiliser une IA ?  

Si l’intérêt pédagogique du métavers fait débat, la réalité virtuelle peut être un outil d’apprentissage très intéressant. Elle permet par exemple à des chirurgiens de s’entraîner à réaliser des gestes chirurgicaux avant de les pratiquer sur des corps humains. Mais attention à ne pas l’utiliser pour son simple effet waouh, pour des compétences pour lesquelles le côté immersif de la réalité virtuelle apporte peu en termes d’apprentissage. 

Il est à noter que l’impact environnemental du métavers et de la réalité virtuelle est majoritairement associé au matériel électronique nécessaire à leur utilisation (ex : un casque de réalité virtuelle). On privilégiera ainsi les formations immersives dans des environnements virtuels ne nécessitant pas d’utiliser de nouveau matériel. 

Le plus important : allonger la durée de vie de ses équipements

De manière générale, comme l’illustre le comparateur en ligne du site de l’ADEME, la majorité de notre empreinte numérique provient de la construction de nos appareils et non de leur utilisation. 

Source : comparateur de l’ADEME

La fabrication de tout ce matériel, en plus de générer d’importantes quantités de CO2, nécessite des ressources dont l’extraction pose de graves problèmes environnementaux et sociaux. « Au rythme actuel, le numérique – qui est fabriqué avec des ressources abiotiques en voie d’épuisement (minerais, etc.) – sera considéré comme une ressource critique non renouvelable en voie d’épuisement d’ici moins d’une génération » estime Frédéric Bordage, l’auteur d’une étude sur l’empreinte environnementale du numérique mondial.  

La solution : l’éco-conception

Nous n’avons plus le choix. Il nous faut à présent veiller à préserver les ressources de la planète. En plus de chouchouter nos appareils, nous devons nous inscrire dans une démarche d’éco-conception, qui a pour visée de produire des services en ligne moins consommateurs de ressources, plus durables et plus accessibles, tout en maximisant leur utilité. Pour cela, dès lors qu’une ressource est très énergivore, il faut se questionner sur sa valeur ajoutée, et se demander si une alternative est possible.  

Mais alors, la formation est-elle condamnée à devenir peu imaginative et austère ? Pour Damien Legendre, responsable UX de l’agence Lunaweb, l’éco-conception ne signe pas l’arrêt de mort de la créativité, au contraire ! Il explique dans le podcast « Learn and Enjoy » que le design web est par défaut nourrit de contraintes (besoins du client, accessibilité, etc.). L’éco-conception apporte simplement un cadre supplémentaire, qui nous donne l’occasion de nous réinventer.  

Virginie Dentzer, Conceptrice pédagogique

Article rédigé pour le Learning Technologies France 2024

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